Dans le monde d’OnlyFans et des plateformes similaires, la promesse d’une interaction personnelle et exclusive avec un créateur est l’un des moteurs principaux de l’engagement des abonnés. Mais derrière cet écran d’intimité, une réalité bien différente se cache : les chatters, ces travailleurs invisibles employés par des agences ou des créateurs pour gérer leurs interactions en ligne. Si leur objectif est de maximiser les profits, leur existence soulève des questions éthiques sur la transparence, la confidentialité et la manipulation des abonnés.

Les Plateformes en Tant que Gagnantes
Avant même d’aborder le rôle des chatters, il faut comprendre le modèle économique des plateformes elles-mêmes, qui prélèvent une commission de 20 % sur tous les revenus générés par les créateurs. Que ce soit via des abonnements, des pourboires ou des messages payants, OnlyFans et consorts se taillent une part conséquente des gains, tout en laissant les créateurs gérer eux-mêmes leurs coûts (comme les agences, les outils, ou encore la production de contenu).
Un marché extrêmement lucratif : OnlyFans a généré plus de 5 milliards de dollars en transactions en 2022, ce qui représente environ 1 milliard de dollars de revenus nets pour la plateforme.
Le paradoxe des "20 %" : Bien que 20 % puisse sembler raisonnable, ce pourcentage représente une somme massive lorsqu’on la compare aux revenus des créateurs, surtout ceux qui sous-traitent à des agences. Par exemple, un créateur qui génère 10 000 € par mois verse immédiatement 2 000 € à OnlyFans, avant même d’avoir payé son agence (qui peut prendre jusqu’à 50 %).
Les Abonnés Croient Parler au Créateur
L’un des aspects les plus problématiques de ce système est que les chatters entretiennent une illusion délibérée. Les abonnés pensent interagir directement avec le créateur, alors qu’ils parlent souvent à un intermédiaire. Ces interactions, conçues pour paraître intimes et authentiques, visent surtout à maximiser les pourboires et les ventes de contenu exclusif.
Pourquoi c’est problématique ?
Les abonnés paient pour une relation qu’ils croient réelle.
Les chatters, formés pour manipuler les émotions, peuvent exploiter la vulnérabilité émotionnelle des abonnés.
Pratiques Controversées : Quand l’Éthique Passe à la Trappe
Pour maximiser les profits, certaines agences et chatters adoptent des pratiques douteuses :
Pousser à des dépenses excessives : Les chatters sont souvent formés pour exploiter les désirs ou les insécurités des abonnés. Ils multiplient les promotions et utilisent des techniques de manipulation émotionnelle pour les inciter à payer plus, sans tenir compte de leurs limites financières.
Incitation à des pratiques dangereuses : Certains chatters acceptent des demandes risquées ou inappropriées, car leur objectif principal est de maximiser les revenus. Cela peut inclure des défis ou des demandes explicites qui mettent en danger les abonnés ou les créateurs eux-mêmes.
Données personnelles compromises : Les abonnés partagent parfois des informations sensibles dans leurs échanges (photos, adresses, préférences). Les chatters, souvent basés dans des pays où la législation sur la protection des données est moins stricte, y ont accès. Cela pose des risques importants en cas de fuite ou de mauvaise gestion des données.
L'Illusion d’un Gain Facile pour les Créateurs
Les agences promettent souvent monts et merveilles aux créateurs, en leur assurant qu’ils peuvent "déléguer tout le travail" et simplement "profiter de l’argent". Mais derrière cette promesse se cache une réalité complexe :
Commissions multiples : En plus des 20 % prélevés par OnlyFans, les agences peuvent prendre 30 à 50 % des revenus des créateurs. Cela laisse aux créateurs une part bien moindre que ce que l’industrie prétend souvent.
Perte de contrôle : De nombreux créateurs se plaignent que les agences répondent aux abonnés sans respecter leurs valeurs ou leurs limites, ce qui peut ternir leur image.
La Confidentialité des Données : Un Risque Sous-Estimé
Avec des équipes de chatters souvent situées à l’étranger (Philippines, Pakistan, Inde), les risques liés à la gestion des données personnelles des abonnés sont élevés :
Fuites potentielles : Les messages privés, les préférences ou les photos envoyées peuvent être mal protégés.
Exploitation des données : Les agences peuvent analyser ces informations pour manipuler les abonnés et maximiser leurs dépenses.
L’Éthique en Question
Alors que l’industrie prospère, la question se pose : où tracer la ligne entre une relation commerciale honnête et une manipulation émotionnelle organisée ? Les créateurs, les agences et les plateformes partagent tous une part de responsabilité dans la manière dont les abonnés sont traités.
Quelques pistes pour une meilleure éthique :
Transparence : Les abonnés devraient savoir s’ils interagissent avec un créateur ou un chatter.
Protection des données : Les plateformes et agences doivent garantir la sécurité des informations sensibles.
Limiter les incitations : Interdire les pratiques qui poussent à des dépenses excessives ou à des comportements risqués.
Derrière l’Illusion, des Milliards de Profits
Le modèle d’OnlyFans repose sur une illusion rentable : vendre une intimité qui n’existe pas réellement. Si les créateurs peuvent y trouver une source de revenus considérable, ce modèle repose sur une exploitation systémique :
Pour les abonnés, qui investissent dans une relation fictive.
Pour les créateurs, dont les revenus sont fortement ponctionnés.
Pour les chatters, qui travaillent souvent dans des conditions précaires pour maximiser les gains des agences et des plateformes.
OnlyFans est une industrie qui génère des milliards de dollars, mais ce succès repose sur des pratiques qui méritent d’être questionnées. La transparence et le respect des utilisateurs devraient être une priorité – tant pour les créateurs que pour les agences et les plateformes.
Les Victimes d'Escroquerie Sentimentale : Quand la Moquerie Aggrave le Traumatisme
Un aspect souvent négligé dans les discussions autour des chatters et des escroqueries sentimentales est l’impact émotionnel sur les victimes. Dans des cas extrêmes, les abonnés peuvent se retrouver dans des situations similaires à celles d'Anne, cette femme qui a été arnaquée par un escroc se faisant passer pour l’acteur Brad Pitt. Une histoire qui a suscité des moqueries en ligne, mais qui reflète une réalité beaucoup plus douloureuse.
Pourquoi les victimes sont-elles moquées ?
Une fausse perception de naïveté : Les victimes sont souvent perçues comme "naïves" ou "stupides", ce qui alimente les moqueries. Pourtant, ces escroqueries exploitent des besoins humains fondamentaux, comme l’envie d’attention, d’amour ou de connexion.
L’humiliation publique : Une fois l’escroquerie révélée, les victimes deviennent la cible de cyberharcèlement et de commentaires sarcastiques, ce qui double la peine. L'humiliation publique peut être encore plus destructrice que l'arnaque elle-même.
Les conséquences des moqueries :
Un traumatisme amplifié : Au-delà de la perte financière ou émotionnelle, le cyberharcèlement peut isoler davantage les victimes et les pousser à se renfermer.
Une perte de confiance en soi : Les victimes peuvent douter de leur propre jugement, ce qui rend difficile toute tentative de rétablissement ou de construction de nouvelles relations.
Une absence de signalement : Par peur du ridicule, certaines personnes choisissent de ne pas signaler ces arnaques, laissant les escrocs continuer leurs activités.
Les Chatters : Une Version Modernisée des Arnaques Sentimentales
Si les escrocs comme celui qui a trompé Anne opèrent dans l’ombre, les chatters évoluent dans un cadre semi-institutionnalisé, mais le mécanisme reste similaire. Ils exploitent l’attachement émotionnel et l’envie de connexion des abonnés pour maximiser leurs dépenses.
Quelques similitudes :
Exploitation de la vulnérabilité émotionnelle : Les abonnés pensent parler à une personne qui les apprécie sincèrement, mais cette "relation" est créée pour générer des revenus.
Création d’une illusion : Tout comme les arnaqueurs sentimentaux se construisent un personnage fictif, les chatters incarnent une version idéalisée du créateur.
Culpabilisation des victimes : Une fois que l’abonné réalise qu’il a été manipulé, il peut être envahi par un sentiment de honte, souvent aggravé par les jugements extérieurs.
Une Illusion Rentable, Mais à Quel Prix ?
Les plateformes comme OnlyFans, et les agences qui en dépendent, ont transformé l’illusion d’intimité en une machine à profits. Si cela peut sembler anodin pour certains, il est crucial de se rappeler que derrière chaque conversation automatisée se trouve un humain : un abonné qui cherchait de la connexion, un créateur souvent pris dans des systèmes qu’il ne maîtrise pas, et parfois un chatter épuisé par des journées de travail intensives.
En comprenant mieux ces dynamiques, nous pouvons à la fois protéger les victimes d’escroqueries émotionnelles et militer pour un modèle plus transparent et éthique.
Pour en savoir plus, découvrez l’article original de VICE :"What’s Really Going On With Chatters in the OnlyFans Industry"
Traduction de l’article de Vice https://www.vice.com/en/article/onlyfans-management-agency-chatters/ :
"Nous ne vendons pas des érections, des seins ou des orgasmes"
Un représentant de Wonderland Talent Agency confie à VICE : "Nous vendons des sourires. Ce même sourire que l’on ressent après avoir vu Avatar pour la première fois ou en admirant un magnifique coucher de soleil... Ce sentiment, vous pouvez l’éprouver en vous connectant avec une autre personne – même en ligne."
Wonderland est une agence de gestion pour OnlyFans : elle travaille avec des créateurs de contenu sur la plateforme (qui produisent principalement du contenu pour adultes) pour augmenter leur visibilité, attirer des abonnés et maximiser leurs revenus. Leur mission, affichée sur leur compte Instagram, est de "tirer un maximum de profits de chaque abonné". Un créateur OnlyFans n’a qu’à envoyer son contenu à l’agence et ensuite, selon eux, "profiter de sa vie avec l’argent que nous vous faisons gagner". Un autre post résume : "Vous voulez un sac Gucci ? Aucun problème."
L'essor d'OnlyFans et des agences
Lancé en 2016, OnlyFans a connu un boom pendant la pandémie de COVID-19, alors que de nombreuses personnes, confrontées à des pertes d’emploi, se tournaient vers cette plateforme pour générer un revenu grâce au travail du sexe. Aujourd’hui, cela représente une industrie pesant des milliards de dollars. Avec cette croissance, une économie parallèle s’est développée : des agences comme Wonderland, spécialisées dans la gestion de comptes, la promotion, et le développement des marques des créateurs.
Cependant, une pratique controversée est au cœur de cette industrie : de nombreuses agences utilisent des "chatters". Ces travailleurs gèrent les boîtes de réception des créateurs, rédigent des messages en leur nom et entretiennent des relations intimes avec les abonnés, qui croient souvent converser directement avec le créateur.
Les "chatters" et leurs tâches
Aamir Kamal, fondateur de l’agence OFagency.co, explique que 50 à 60 % des revenus des créateurs OnlyFans proviennent des messages. Ceux-ci incluent des chats payants, l’envoi de contenu exclusif et des incitations aux pourboires généreux. Pour de nombreux créateurs, cette gestion est trop chronophage, d’où l’intervention des agences.
Les agences structurent leur fonctionnement ainsi :
Managers de comptes supervisant 10 à 15 créateurs.
Chatters et équipes réseaux sociaux sous leurs ordres, souvent externalisés vers des pays comme le Pakistan, l’Inde ou les Philippines.
Les chatters travaillent généralement en shifts de 8 heures, et s’occupent des boîtes de réception de 3 ou 4 créateurs à la fois. Kamal insiste sur le fait que les fans ne se préoccupent pas réellement de la cohérence du ton : "Il suffit d’envoyer des messages."
Les gains financiers
Les agences comme PLUSH, basée à Miami, gèrent des créateurs générant jusqu’à 16 000 livres par mois (environ 18 500 euros). Les managers touchent généralement 15 à 25 % des revenus de leurs créateurs. Cependant, derrière ces chiffres impressionnants, certains chatters gagnent à peine 250 à 500 livres par mois (300 à 600 euros), soulignant une grande disparité dans cette industrie.
Une industrie controversée
En 2021, des anciens employés de Unruly Agency, une agence influente, ont accusé leur employeur de "mentir intentionnellement et manipuler les abonnés". Selon eux, cette pratique des "chatters" équivaut à une forme de fraude professionnelle. The New York Times a même qualifié cette méthode de "proxénétisme numérique" (e-pimping). Bien qu’Unruly ait nié ces accusations, ces controverses jettent une lumière crue sur une industrie parfois marquée par des pratiques douteuses.
L’impact des stéréotypes
Le terme "proxénète numérique" est souvent utilisé pour décrire les agences. Pourtant, selon les agences elles-mêmes, cette étiquette est injustifiée. Un fondateur anonyme de MGMT LUX explique : "À la différence d’un proxénète, nous avons une relation symbiotique avec les créateurs. Ils ont une autonomie totale sur leurs horaires et sur ce qu’ils souhaitent promouvoir." Cependant, une partie de la stigmatisation persiste, alimentée par le fait que les abonnés peuvent se sentir trompés lorsqu’ils découvrent que l’intimité qu’ils croyaient partager est une illusion.
Les chatters : une pièce discrète mais essentielle
Le travail des chatters, souvent invisible, est exigeant. Fernando (un pseudonyme), qui travaille comme chatter, décrit des journées de 4 à 12 heures, parfois en gérant jusqu’à sept créateurs simultanément. Il pointe du doigt l’épuisement émotionnel provoqué par le volume d’interactions et les demandes parfois absurdes de certains abonnés.
Luke (également un pseudonyme) souligne qu’il essaie de s’adapter aux goûts des abonnés pour prolonger les conversations. Cependant, les chatters ne bénéficient souvent que d’une petite fraction des revenus générés, révélant la précarité qui se cache derrière les gains de l’industrie.
Entre illusion et réalité
Certaines agences, comme Wonderland, refusent d’utiliser des chatters, préférant privilégier une gestion plus transparente. Pourtant, même ces agences critiquent les créateurs qui "veulent juste de l’argent sans effort".
La question fondamentale reste celle de la transparence : les abonnés, souvent attirés par l’illusion d’une connexion intime, se sentent trompés lorsqu’ils découvrent que leurs conversations sont automatisées ou déléguées. Cela alimente les accusations de "fausse publicité".
Entre rêve et désillusion
L’industrie d’OnlyFans et des agences qui l’entourent repose sur une dynamique familière : une minorité engrange des millions, tandis que d’autres, comme les chatters, travaillent de longues heures pour des salaires modestes. Derrière l’apparence glamour de la plateforme, on trouve une réalité bien plus nuancée, où les promesses de liberté et d’autonomie coexistent avec des pratiques parfois discutables. Si escroquerie il y a, elle réside dans ce déséquilibre systémique, bien plus que dans l’existence même des agences ou des chatters.